Toute l’Afrique était en émoi. Les élections qui devaient avoir lieu au Congo pouvaient modifier la donne au sein de la Françafrique et, par voie de conséquence, sur le continent entier. L’Afrique du Sud continuait à exporter dans tous les pays le surplus d’une production favorisée par une exploitation éhontée du peuple alors que la grasse PEN (Puissance des États du Nord), impérialiste et boulimique, vivait sur un endettement croissant auprès de son principal fournisseur, la même Afrique du Sud.
Quelques années auparavant, les pays de l’ex-Afrique Occidentale Française, unis par l’usage de la même monnaie, le franc CFA, s’étaient dotés d’institutions communes, d’un parlement et d’un gouvernement françafricain.
L’être humain est ainsi fait que l’histoire et la culture de chaque pays causèrent rapidement des débordements, les uns – industrieux et rigoureux – prospérant grâce à la maîtrise de leurs finances publiques, les autres – chauvins et laxistes – vivant largement au-dessus de leurs moyens et, pour certains, ne se donnant même pas la peine de récolter les impôts légaux. Pendant ce temps les banquiers, réels maîtres du continent, continuaient à emplir la peau rebondie de leur panse.
Un coup de vent financier né aux PEN enraya la belle machine et mit les banquiers aux abois. Ils s’étaient gavés de monnaies virtuelles qu’ils n’arrivaient plus à digérer. L’argent ne circulait plus, ils ne voulaient même plus prêter.
Au Congo, le Président-monarque avait fait trop de promesses inconsidérées : « Travaillez plus pour gagner plus », disait-il, ou encore : « Je vais diviser le chômage par deux », et les Congolais gagnaient moins et le chômage avait augmenté. Son opposant, récemment sorti de l’anonymat, un dénommé Frolanda, émit une série de soixante propositions présentant une logique implacable : en augmentant le nombre de fonctionnaires et le pouvoir d’achat des Congolais, il allait rétablir l’équilibre des comptes publics. Les Congolais, qui sont des gens prompts à se bercer d’illusions et à déboulonner les monarques qu’ils avaient encensés, intronisèrent Frolanda 1er, le premier monarque républicain, qui constitua son premier gouvernement avec ses plus fervents supporters, autant hommes que femmes et annonça quelques mesures d’importance pour démontrer au peuple ébahi qu’il tiendrait ses promesses électorales. Il s’agissait de maintenir l’illusion quelques semaines durant, le temps d’élire les représentants du bon peuple.
Il y avait eu une histoire épique en ce beau pays : cinq ans auparavant, une princesse royale représentait la gauche républicaine face à un farouche combattant de l’identité nationale issue de l’immigration, M’bassar-Kosi. Et la princesse royale – peut-on le croire ? – était la première concubine de M. Frolanda !… À moins que ce dernier ne fût que le prince consort ? Un prince consort que sa deuxième concubine, mère d’une flopée d’enfants issus de précédents mariages, prit en main et mena par le bout du nez (on a un langage moins châtié au Congo !).
Quand Frolanda se présenta devant le peuple au cours de nombreux meetings sur les places des villages faits de huttes de paille, Mme Croq’mitaine organisa les manifestations au grand dam des courtisans de Frolanda, de telle sorte que son candidat chéri ne rencontrât jamais son ex-première concubine, à laquelle il avait pourtant donné une nombreuse progéniture et qui avait un poids important dans son comité de soutien. Au soir de la victoire de son protégé, en Grand Reporter avisé de Congo Compétition, alors que ce dernier embrassait avec force démonstration de joie naïve chacun de ses soutiens, elle obtint de lui et de ses amis journalistes qu’ils diffusassent largement la photo d’un baiser à pleine bouche - et l’on sait que les Africains ont de grandes bouches - qu’il lui accorda benoîtement.
Mais l’affaire n’en resta pas là, souvenons-nous que nous sommes dans un pays d’Afrique profonde, d’un pays de la Françafrique qui plus est. Il s’agissait maintenant d’élire les membres de l’Assemblée Nationale. Le parti démocratique du Congo (PDC) demanda à l’ex-concubine de se présenter dans une nouvelle circonscription de sa région, Pointe-noire, qui est, comme chacun sait, un ravissant port de pêche fortifié longtemps convoité par les Anglais. Comme cela se passe dans ces pays lointains, le potentat local, qui appartenait également au PDC, refusa d’abandonner son fief, soutenu en particulier par un ancien premier-ministre, ancien candidat à la magistrature suprême, magistralement prié de retourner à ses chères études, à qui la princesse royale, pourtant peu avare de ses affections, avait refusé ses faveurs et contre laquelle il nourrissait, si l’on peut dire, sa meilleure dent. Le potentat fut menacé, puis exclu du PDC et arriva, lors du premier tour, en deuxième position derrière l’ex-concubine. Tous les ténors du parti firent le voyage à Pointe-noire pour se montrer avec elle et même le Président nouvellement élu, contrairement à son engagement de se tenir au-dessus des partis, ne sut résister à la vibrante sollicitation de son ex et lui apporta publiquement son soutien affectueux. Il oublia cependant d’en informer préalablement sa dernière concubine qui, avec un sens inné des affaires de l’État, s’empressa d’envoyer un tweet d’encouragement au potentat local - qu’elle ne connaissait pourtant ni d’Ève ni d’Adam - et le fit savoir à ses amis journalistes. La princesse en fut fort marrie. Une explication de texte eut lieu au Palais Impérial, où Mme Croq’mitaine avait son bureau, deux secrétaires particuliers, un cuisinier suisse et une douzaine de boys. Plus fort encore, le parti républicain du Congo (PRC) du président sortant appela à voter pour le potentat, bien que ce dernier s’obstinât à proclamer qu’il était le plus fervent supporter de Frolanda 1er !
Parallèlement, entre les deux tours des élections, dans ce pays hautement civilisé, Frolanda 1er eut l’occasion de retourner à la chancelière du puissant État voisin, la République Démocratique du Congo – dont la capitale Kinshasa faisait face à Brazzaville, sa propre capitale de l’autre côté du fleuve Congo – de retourner donc à la chancelière un chien de sa chienne. En souvenir du refus de cette dernière de le recevoir alors qu’il n’était qu’un modeste candidat, il s’empressa d’accueillir en grande pompe le leader de son opposition. Il était en effet de coutume au Congo, depuis des lustres, de « faire la nique » au voisin, ce qui se manifestait par moult pieds de nez, doigts et bras d’honneur. C’est une manière de gouverner.
Au deuxième tour des élections, le parti de l’ex-président avala des couleuvres plus grosses que des pythons. Ce fut une déculottée mémorable et le peuple donna à Frolanda 1er la majorité qu’il réclamait. Seulement, ce dernier n’en eut pas la joie attendue : la princesse royale avait été boudée par les électeurs. Elle cria à la trahison, et les ténors du PDC avec elle. De l’autre côté, ceux du PRC, fort marris de la veste qu’ils avaient prise, eurent au moins cette satisfaction et la joie saine de voir le visage décomposé de la princesse.
Les électeurs du PRC qui avaient voté pour le potentat local, l’entendant affirmer haut et fort qu’exclu du PDC, il n’en continuerait pas moins à soutenir le programme de Frolanda 1er, même tout seul sur les bancs de l’assemblée, se demandèrent s’ils ne s’étaient pas fait cocufier.
D’un autre côté, le discours plein de gravité du nouveau Premier Ministre – qui, lui, avait bénéficié des faveurs de la princesse, dit la rumeur – annonçant à mots couverts les sacrifices demandés au peuple « dans la justice, évidemment », fit prendre conscience aux électeurs vainqueurs qu’ils s’étaient probablement fait cocufier eux aussi.
Il faut comprendre que dans cette contrée lointaine, baiser et se faire baiser était de fait le sport national, probablement au détriment de l’intérêt général, terme suffisamment vague et ambigu d’ailleurs pour que chacun puisse penser y trouver son intérêt particulier. Au point que, à l’occasion de la coupe françafricaine de football qui avait lieu dans le même temps, on se demanda si les deux buts marqués par un joueur congolais contre son camp n’étaient pas suspects…
À suivre.
Votre correspondant à Brazzaville, Charles-Georges-Valéry-François-Jacques-Nicolas du Pont Branlant.