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Dictatures et éducation

  • Dictatures et éducation

    La démocratie, pouvoir par le peuple, ne peut être une bonne chose que si le peuple est en mesure de peser les avantages et les inconvénients à choisir telle ou telle option. Sinon, il vaut mieux une élite ou une monarchie éclairée.

    Pour évaluer une situation et les conséquences de telle ou telle décision, il faut une capacité à saisir et à traiter l’information - je vais même plus loin, à distinguer le vrai du faux dans les informations diffusées par les sources d’information puisqu’il est impossible de se rendre sur place pour juger par soi-même, ou de tout intégrer et étayer sur des faits concrets.

    La démocratie impose un peuple éclairé, donc éduqué.

    Quelle éducation fournir pour permettre au jugement de s’exercer ?

    Sans aucun doute la formation de l’esprit à travers l’usage de la langue, support de la pensée ; c’est l’affaire de la formation littéraire. Apprendre à argumenter, à exercer son esprit critique sur les arguments des autres, et ceci se fait par les humanités.

    En second lieu, la formation historique, puisque « faute de connaître l’histoire, nous sommes condamnés à la répéter inlassablement ». Ce devrait être l’essence de la formation à l’histoire que d’étudier Toynbee, Braudel, les auteurs qui ont essayé de dégager les grands traits des processus historiques, les facteurs déterminants des continuités et des ruptures de l’Histoire.

    Avec l’histoire, la géographie et ses relations avec l’histoire et les cultures, comme le fait si malhonnêtement l’auteur de « le choc des civilisations », Samuel Huttington.

    Enfin, l’étude critique du développement des sciences et des techniques, avec son corollaire, l’économie, à tout le moins la macro-économie.

    Simultanément, l’école renforcerait la capacité à apprendre à apprendre à travers l’apprentissage de méthodes de développement cognitif ou de gestion mentale.

    Arrivés à l’âge du vote, les citoyens seraient alors capables d’évaluer les programmes des candidats au suffrage universel, de juger de leur honnêteté, de jauger les informations transmises par les médias.

    Au lieu de quoi, l’école est progressivement transformée en une fabrique de techniciens incultes, chair à canon de l’activité économique qui cherche à en faire des consommateurs/producteurs. Comment cela ? Il suffit d’étudier l’évolution des programmes scolaires depuis une cinquantaine d’années.

    Auparavant, le certification d’études « garantissait » qu’une classe d’âge savait lire, écrire et compter, base élémentaire de toute évolution future dans l’accession à la connaissance. Exit le certification d’études, et avec sa disparition, plus d’évaluation, pire : le constat que la moitié des élèves qui entrent en sixième ne comprennent pas ce qu’ils lisent.

    Sous la pression des sciences dures – le scientisme ayant fait croire que la science positive résoudrait tous les problèmes -, les mathématiques, puis la physique, puis l’économie ont progressivement rogné les autres disciplines, celles des humanités.

    Le gouvernement actuel nous prépare quelques nouveautés : deux heures de littérature au lieu de quatre en terminale L (on sait bien que les littéraires ne trouvent pas de travail et forment donc une cohorte de gauchistes) ; suppression des classes de Grec et de Latin en terminale S et Eco (le gavage est le meilleur moyen d’insuffler de l’intelligence) ; suppression de l’étude de l’histoire et de la géographie en première (car les élèves n’ont pas besoin de perdre un temps précieux de préparation au monde du travail).

    Bref, l’école de l’Education Nationale, loin de ses principes généreux et utiles à la vie en société, a de plus en plus la mission de formater les agents de production dont nos entreprises ont besoin dans la guerre économique que se livrent les grandes puissances identifiées par Huttington : l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Europe, la Russie, la Chine, l’Inde, le Japon et les pays pétroliers du Moyen-Orient (l’Afrique a disparu ; au mieux elles sera l’objet des conquêtes de territoires pour les puissances précédentes, une fois débarrassées – cela éviterait des actions désagréables à leur encontre -, de leurs populations sidaïques).

    Des agents de production privés de leurs facultés de jugement, donc facilement manipulables par la publicité des entreprises et la propagande des gouvernements, à travers des médias maintenant propriété des grands capitalistes, eux-mêmes liés au pouvoirs politiques.

    Ainsi, les gens de pouvoir, qui constituent de plus en plus une caste accaparant tous les leviers d’action et qui se reproduisent grâce à la culture que eux peuvent transmettre à leurs descendants et grâce aux réseaux de relations qu’ils créent, peuvent établir une dictature de fait, la dictature des puissants, tout en donnant l’illusion de la démocratie.

    Oh, le peuple, malgré les efforts répétés de leurs formateurs, garde un fond inconscient de bon sens et sent bien qu’il y a anguille sous roche. Au moment de voter, après avoir été dupés par la gauche comme par la droite ou le centre, ils manifestent leur mauvaise humeur en votant pour des contre-pouvoirs extrémistes ou s’abstiennent de plus en plus de se rendre aux urnes – pourquoi faire ? Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, comme disait Pasqua.

    Après un bref compte-rendu du taux d’abstention et les larmes de crocodile versés par tous les leaders et leurs affidés journalistes, on clame et proclame les résultats : 52 % contre 48 % ! 53 % contre 47 % ! Les abstentions et les votes blancs (qui ne sont pas comptabilisés !) passent à la trappe.

    C’est donc cela la démocratie : des promesses faites de façon cynique par une caste de puissants, relayées par des médias aux ordres et/ou à l’audimat à des gens entretenus dans leur ignorance, incapables de former un jugement et abrutis par la propagande ?

    Non, ce n’est pas une démocratie, c’est une dictature, le pouvoir confisqué par quelques-uns au détriment du plus grand nombre. Ce qui se traduit par des injustices croissantes, des grondements, quelques essais de révolte, des actes de colère qui nécessitent une police d’état de plus en plus présente, un contrôle serré du corps social, une surveillance de tous les instants.

    Orson Welles et Aldous Huxley l’avaient prophétisé.

     

    Jean TAILLARDAT, El Liberator, 15 avril 2010