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Lettre à Sa Suffisance

À chaque roi ses bouffons

 

Lettre à Sa Suffisance Monsieur de Macron, Président de la République Emmanuel Macron.

 

Votre Suffisance,

Il n’est pas dans les coutumes de la République de mettre le genou en terre devant son Seigneur et Maître, ce que firent récemment des Indigènes aux mœurs traditionnelles, mais permettez-moi de m’incliner avec dévotion et délectation devant Votre Suffisance en signe d’adoration et d’admiration.

D’adoration d’abord, parce que, comme treize pour cent des électeurs français, je suis atteint de macronite ;

D’admiration ensuite devant Votre talent de comédien et Votre culot ; Vous avez d’abord présenté Votre programme : le paradis sur la terre de France ! et Vos spectateurs Vous ont pris pour Jésus – le besoin de se référer à un être supérieur est une constante de l’humanité. Vous avez ensuite glorifié Jeanne d’Arc et les spectateurs enthousiastes Vous ont pris pour Jeanne d’Arc – tant est grande la demande d’un sauveur dans une période troublée. Aux uns Vous avez proclamé que la colonisation était un crime contre l’humanité – sans en croire un mot ; combien d’électeurs acquis ? – aux autres, les harkis, Vous avez dit avec cynisme que Vous les avez compris – ils n’ont aucun poids électoral –, aux derniers enfin – au Puy du Fou – que Vous portez les valeurs traditionnelles de la France – dont, entre nous soit dit, Vous Vous moquez éperdument.

Oui, je suis en admiration : Vous avez étudié Machiavel et Hegel et en avez extrait la substantifique moelle avec une intelligence supérieure, bien aidé en cela par hommes d’affaires, patrons de presse, journaleux, conseillers du Prince, etc.

Et Vous avez su saisir l’opportunité que représentait l’état de décrépitude dans lequel Vos prédécesseurs ont plongé le pays. Vous reconnaîtrez – Ah ! Votre suffisance, Vous ne reconnaissez rien du tout, pardonnez ma naïveté, mon outrecuidance – bref vos amis du PS ont bien aidé la chance en disqualifiant Votre principal adversaire, par ailleurs pur produit de la décrépitude morale de l’Ancien Régime.

Votre Suffisance, j’ai reconnu en Vous un Bonaparte accompli ; lui a mis dix ans pour se sacrer Empereur, Vous n’avez mis qu’un an pour devenir le Président de tous les Français-macronistes !

J’ai également pensé à Napoléon III, Votre Suffisance, qui est devenu Empereur dans des circonstances semblables ; le délabrement du pays et de ses institutions… Vingt-deux ans de règne, la Grande Vie, Haussmann, Offenbach, les Bains, Paris centre de l’Europe – que dis-je, du Monde ! Certes, Votre Suffisance, vous saurez abandonner Vos fonctions et Votre titre avant l’effondrement du Nouveau Régime, d’autres titres de gloire vous attendent : Président des USE – United States of Europe ?

Trois mille spectateurs en transes scandent « Patrick ! » en agitant leurs briquets allumés, Vous n’avez pas eu droit à ces joyeuses manifestations ; Votre Suffisance, quand on brigue le titre suprême, un peu de retenue s’impose et le peuple, Votre Suffisance, a su se retenir.

Comme Vous m’avez engagé à Vous donner le fond de ma pensée, permettez-moi de vous livrer – succinctement – mon interrogation : Comment avez-vous fait pour porter à la députation trois cent cinquante quidams dont la majorité était inconnue des électeurs ? M. Christophe Barbier a osé dire publiquement, et une affiche l’a imagé, qu’avec Votre photo et Votre nom sur l’affiche du moindre de vos candidats, même une chèvre aurait été élue… un grand nombre de chèvres ont été élues. Quelle connaissance Vous avez, Votre Suffisance, des phénomènes de masse et du poids de la propagande pour avoir ainsi aveuglé seize pour cent des électeurs et anesthésié cinquante et un pour cent des autres ! Votre Suffisance, je subodore que Gustave le Bon a fait partie de vos lectures.

Votre Suffisance, il me vient un autre nom… que ma loyauté à Votre égard – et dussé-je en subir les foudres – m’impose : Mme de Pompadour ! On rapporte qu’une diseuse de bonne aventure lui aurait prédit la conquête du roi Louis XV, et elle a fait de son rêve une réalité. Depuis Votre plus jeune âge - pour des raisons qu’il ne m’appartient pas, dans l’océan de mes lacunes, de rechercher -, Enfant Modèle (EM, déjà !) répondant parfaitement aux désirs de Vos parents, de Vos maîtres, de Vos confesseurs, d’un professeur de français, de Vos enseignants, de Vos directeurs, de Vos patrons, Vous avez su vous faire apprécier de tous et franchir huit à huit les marches qui mènent au pouvoir, tant et si bien que des personnalités aussi indiscutables que M. Herman, M. Attali, M. Minc, M. Jouyet, M. Henrot et tant d’autres ont vu en Vous le Phénix qui porterait leurs propres rêves et ambitions.

Car Votre talent ultime, Votre Suffisance, c’est – à l’instar de la Dame Poisson – de transformer Vos rêves en réalités ; la Poisson serait la maîtresse du Roi exerçant son pouvoir à travers lui, le Macron serait l’amant de la France… sans aucun intermédiaire.

L’étude de l’Histoire m’alerte cependant, Votre Suffisance ; jamais les rêves n’ont eu de prise sur la réalité dans la durée. Maintenant que vous avez séduit la France, rien n’interdit de penser que, dans leur grande futilité, les Français pourraient vous rejeter à la mesure de leur engouement. Ce n’est pas que Votre peuple soit particulièrement versatile mais Vous savez qu’il passe aujourd’hui de lubie en lubie ; le hand spinner hier, Vous aujourd’hui, quoi demain ? Nous sommes dans l’ère du jetable, Votre Suffisance, il vous faudra toutes Vos qualités de comédien pour faire croire que Vous Vous renouvelez en permanence ; à Dieu ne plaise que Vous ne soyez dégagé comme l’ont été Vos aînés en politique.

J’ai une pensée iconoclaste, Votre Suffisance, Vous pourriez revenir à Vos premières amours, les planches ?

Il Vous restera à dire d’un ton léger, comme la Poisson après la défaite des troupes françaises à Rosbach : « Après nous le déluge. »

Que le déluge, Votre Suffisance, se produise seulement après Votre mandat, que Vous en jouissiez pleinement avec la Première Dame et Ses suivantes.

Soyez assuré, Votre Suffisance, que Vous trouverez toujours en Votre fidèle admirateur un constant lécheur d’empeigne, au moins jusqu’à l’avènement de Votre remplaçant.

 

Un macroniste anonyme.

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